16 décembre 2010

La France

"Il s'était réveillé et se tenait dans l'obscurité de la chambre. Dans le lointain, il entendait les soldats, ses camarades, déclamer les couplets sentimentaux des chants qu'ils entonnaient régulièrement à la tombée de la nuit, le bourdonnement du concertina assurant l'accompagnement."
L'épine dans la chair - D.H. Lawrence

Le poster franchement hideux de ce film n'a pas suffi à m'en éloigner. C'est pourtant un de ces films pas évidents à croiser, qu'on est allé chercher au fond d'une revue, qu'on a téléchargés (je ne parle pas pour moi, ne venez pas me chercher, pitié) à 10ko/s durant toute une année (année qu'on peut du coup rayer d'un grand coup de cutter sur son calendrier), et qu'on a vu seul y compris si on était accompagné. C'est pourtant un film sympathique et plutôt original. Les puristes du film de guerre et les férus d'Histoire le prendront peut-être en grippe dès la première minute, à en croire en tout cas la réaction épidermique de mon paternel, mais les autres y trouveront éventuellement, qui sait, un objet cinématographique inattendu, parfois d'une grande beauté et pour le moins intriguant.



La France raconte l'histoire d'une femme (Sylvie Testud) dont le mari est au front, engagé côté Poilu dans la guerre de 14. Elle crève du besoin de le revoir. Au début du film elle tente de le rejoindre sur le théâtre des hostilités mais elle est immédiatement rattrapée par la police française qui lui interdit de quitter son village parce qu'elle est une femme. Elle se coupe alors les cheveux très courts, s'aplatit les seins avec un bandage, enfile un pantalon et taille la route vers les champs de bataille en se faisant passer pour un jeune homme auprès d'une compagnie de soldats menée par un officier taciturne incarné par Pascal Greggory. Ces hommes auront tôt fait d'adopter Camille, cette femme qu'ils prennent pour un homme et qu'ils intègrent à leurs rangs, revêtue à son tour d'une tunique bleu cendre. Petite parenthèse. Sylvie Testud soulève une question sans réponse, dans la roue de Felicity Huffman qui nous la posait déjà dans Transamerica, la fameuse question de l'amour propre de ces actrices qui sont mises à mal par un scénario un peu rude à leur égard. Comment se fait-elle à l'idée qu'il suffit qu'elle se taille les cheveux en balais brosse et qu'elle se ramasse le poitrail avec des bandes bien serrées pour être immédiatement et unanimement considérée comme un mec ? C'est un débat que j'entretiens régulièrement avec moi-même devant ce genre de cas et qui me hante toujours en fond de tâche. Mais pour en revenir au film, il faut préciser l'essentiel et dire la situation de cette troupe de Poilus : ils sont déserteurs et tentent une fuite loin des tueries qui semblent avoir irrémédiablement blessé leur âme. Or, seconde particularité, leur principal moyen d'expression collégial est la musique, qu'ils pratiquent régulièrement en chœurs sur des instruments vétustes.



Ces séquences musicales sont très particulières car les soldats jouent une musique relativement gaie et assez actuelle que Serge Bozon, le cinéaste, décrit lui-même comme "une synthèse de la popsike anglaise et de la sunshine pop californienne", ce qui me paraît très juste même si je suis une bille en musique sorti de No Apero et de Milk. Ces chansons étonnantes, bien balancées par des soldats inspirés, sont à deux doigts d'être irritantes en même temps qu'elles sont fort plaisantes, voire assez mémorables, assez persistantes en moi qui d'habitude n'ai qu'une chanson en tête : "Independent women Part 1" des Destiny's Child, ces filles du Destin qui prônent l'indépendance des femmes en tendant leurs bulbes à toutes les caméras.



La France est donc fort intéressant. C'est un film de guerre sans la guerre mais sur la guerre. On n'assiste pratiquement à aucun combat, l'ennemi est à peine là, mais la tension, la crainte, le traumatisme sont bien présents. A la fin du film la violence rattrape la troupe des déserteurs à contrepied de ce qu'on aurait pu soupçonner, puisqu'elle implique non pas des militaires mais des civils et vient opposer un frein à la longue marche des repliés qui fuient l'horreur pour se réfugier vers une utopie à priori inaccessible. La guerre reste hors-champ bien qu'on la sente toute proche, tenue à l'écart par cette équipée sans espoir, itinérante et mutique, qui lorsqu'elle s'autorise la parole, par des chants communs ou par la voix parlée d'un seul, dit tout d'un bloc la vérité.



La France de Serge Bozon avec Syvie Testud, Pascal Greggory et Guillaume Depardieu (2006)

10 commentaires:

  1. Je viens juste de mettre le lien sur Facebook. Et tu ne l'avais pas mis dans le forum (tu peux le faire d'ailleurs). Faut attendre un peu, ça viendra ptêtre. :)

    RépondreSupprimer
  2. Si c'est un four c'est un four, c'est pas grave :) Ca le mérite ma parole...

    RépondreSupprimer
  3. Ça sera pas le premier ni le dernier. Mate mes critiques de 5 lignes de Richet, notre critique de Peut-être, etc. :)

    RépondreSupprimer
  4. J'aime ce genre d'articles parce qu'ils sont du pain béni pour qui ne veut PAS voir ce genre de film (et ne le verra jamais) mais peut tout de même se targuer (c'est de moi que je cause, c'est moi qui me targue) d'avoir un avis dessus (le tien).

    RépondreSupprimer
  5. Je pensais te choper en causant zique, pop, et Californie dans mon troisième paragraphe.

    RépondreSupprimer
  6. Je l'ai vu ma parole ! En 3 fois (je me suis endormi toutes les demi-heures) mais je l'ai vu. C'est intéressant ouais, dans le sens où il y a des belles choses, d'autres ratées, d'autres qu'on soupçonne futées sans bien les comprendre et qui sont donc bien irritantes, et puis il y a les chansons, qui sont tout ça en même temps ! Y'en à une ma parole, elle m'a réveillé de ma deuxième sieste (j'en déduis donc qu'elle est à environ une heure de film si vous voulez y aller direct avec les chapitres du DVD), donc elle a commencé par bien me lourder, et en même temps elle a attiré mon attention parce que la mélodie et les arrangements étaient chouettes, mais le gars chantait faux, puis finalement je l'ai eu en tête toute la journée, et là elle me pourrit encore ("Est-ce qu'il viendrait vers moi ? Est-ce qu'il viendrait vers moi ?".......). Ce film est à l'image de cette chanson pour moi. Chouette mais chauuuud. C'est déjà mieux que s'il était à l'image de l'immonde visage de Sylvie Testud vous me direz.

    RépondreSupprimer
  7. On l'a vécu exactement de la même façon. J'ai dormi deux ou trois fois et l'ai relancé à chaque fois pour aller au bout.

    C'est exactement ce que je dis pour les chansons ! C'est agaçant et pas mal à la fois et ça reste vachement en tête. Film raté mais intéressant, original mais bancal, osé mais pas assez, gonflant mais plaisant. Drôle de film, pour lequel avec du recul j'ai de la sympathie. Content de ne pas être le seul à l'avoir vu :D

    RépondreSupprimer
  8. Je te conseille Mods, le moyen-métrage de Bozon, si tu l'as pas vu. Les "tics"'(stylistiques et musicaux notamment) sont encore plus énormes mais bizarrement ça passe mieux du coup. J'en garde même un très bon souvenir.

    RépondreSupprimer
  9. Je reconnais cette corde raide que vous décrivez, entre intéressant et agaçant, mais au visionnage ce film m'avait fait l'effet d'un gigantesque monument de pose qui n'a rien dans le ventre. J'ai été salement irrité tout du long. Je crois pas que je tiendrais le coup face à "Mods", dont la bande annonce m'avait flingué à l'époque.

    RépondreSupprimer