10 juin 2014

The Rover

Après s'être essayé au film de gangsters dans son premier long métrage, le très remarqué Animal Kingdom, l'australien David Michôd revient avec une sorte de néo-western post-apocalyptique au scénario proche de l'absurde. Un deuxième film moins directement séduisant mais peut-être plus abouti, qui confirme la naissance d'un cinéaste à la personnalité singulière et bien affirmée. The Rover nous plonge immédiatement dans la langueur et la torpeur pesantes de l'outback Australien, paysage désert, sans horizon, complètement cuit, si propice aux ambiances de fin du monde et que l'on aurait su condamné sans même lire l'intertitre d'ouverture : "Australie, 10 ans après la chute." Nous ne saurons rien de l'évènement qui, dans un futur proche, a fait sombrer la société tout entière. Quelques minuscules indices, glissés ici ou là, l'air de rien, sans aucune insistance, nous permettront toutefois d'imaginer les nouveaux contours de ce monde démoli, mais le cinéaste australien a bien sûr l'intelligence de ne pas se perdre dans les explications forcément déceptives de cette "chute". Il doit savoir que nous avons déjà bien trop souvent subi ce passage obligé dans de mauvais blockbusters américains. En outre, la noirceur de son film est telle qu'elle nous amène tout naturellement à penser qu'il s'agit non pas d'un évènement particulier, d'une catastrophe sans précédent, mais plutôt d'une suite logique, du prolongement possible de notre si peu reluisant présent.




Dans cette Australie assommée, un homme seul (Guy Pearce) assiste, impuissant, au vol de sa bagnole par un gang en fuite et devient, dès lors, tout ce qu'il y a de plus déterminé à récupérer son bien. Ce vieux loup solitaire, à l'humeur maussade et aux mots très rares, trouvera de l'aide en la personne de Rey (Robert Pattinson), le petit frère un brin débile de l'un des membres du gang, qu'il ramassera sur la route dans un sale état. Nous ignorons les motivations réelles du personnage principal, nous pourrons longtemps le considérer comme un justicier de pacotille, à la lucidité disparue, simplement soucieux de se faire respecter et de récupérer sa tire, comme un cowboy revanchard voudrait retrouver son précieux canasson, quitte à se lancer dans une croisade stupide et suicidaire, et prêt à laisser quelques cadavres dans son sillage. Malgré le fil ténu de son intrigue rachitique, David Michôd réussit à capter notre attention du début à la fin. Grâce à l'attention portée à ses deux personnages et au talent évident de leurs interprètes (Guy Pearce, habité, trouve sans doute l'un de ses meilleurs rôles et il faut bien reconnaître que le jeune Robert Pattinson est véritablement étonnant), nous suivons leurs laborieuses aventures sans s'en désintéresser une seconde. Le rythme est assez étrange, plutôt lent, le film est d'abord difficile à cerner, peu avenant, mais grâce à la conviction sans faille dont fait preuve David Michôd, on s'y installe progressivement. On est dedans, on y croit, c'est aussi simple que ça.




Comme dans son premier long métrage, David Michôd évite systématiquement le spectaculaire et fait preuve d'un réel talent pour filmer la violence. Quand celle-ci surgit, David Michôd filme sa froideur, sa soudaineté et sa cruauté, en une économie de plans remarquable et terriblement efficace. Les coups de feu sont aussi rares que fatals. Les affrontements sont brefs, les corps tombent vite, mollement. On retrouve également la même application dans la bande sonore : plutôt que d'accompagner ses scènes-clés par une musique illustrative qui viendrait lourdement renforcer les émotions visées, comme c'est trop souvent la règle, Michôd préfère consacrer à la musique des passages creux, stationnaires, mais propices au développement de cette ambiance unique à laquelle elle donne une sonorité très originale. Il a pour cela le bon goût de se servir de quelques-uns des plus mémorables morceaux du groupe chicagoan Tortoise, que je connaissais par cœur mais auxquels je n'avais jamais attribué un tel décor, que je n'avais guère imaginé dans un tel contexte. Le cinéaste parvient aussi très subtilement à s'éloigner des clichés du genre, à s'affranchir de ses références. On pourrait penser à une dizaine d'autres films tout du long et ne jamais entrer dans celui-ci. C'est tout le contraire. Même s'il n'est peut-être pas un chef-d’œuvre, The Rover domine de la tête et des épaules la concurrence actuelle, uniquement grâce à sa réelle capacité à nous immerger dans le monde apocalyptique qu'il dépeint, ceci étant permis par la croyance absolue du réalisateur en ce qu'il filme.




Le cinéaste ne dévie jamais de la ligne qu'il s'est fixé. Il nous livre un film de genre, un vrai, sec et sans concession ; une œuvre qui exerce un modeste mais réel pouvoir de fascination et laisse une empreinte assez durable par l'atmosphère suffocante dans laquelle elle nous a patiemment enveloppés. Et, si l'on en doutait encore, c'est à la toute fin que l'on peut s'assurer que David Michôd a réussi son pari, au moment où il dévoile la dernière carte, l'une des seules, de son scénario minimaliste au possible. Cette petite pirouette scénaristique finale, que je ne vous révèlerai pas pour mieux vous laisser la découvrir, pourrait plomber le film entier, le faire sombrer dans le ridicule et même provoquer des rires gênés, mais il n'en est rien. Si elle n'est peut-être pas très utile, elle n'entache d'aucune façon la qualité du film de Michôd et permet aussi de constater qu'il est parvenu sans souci à nous faire croire en la détresse totale de son personnage principal, définitivement perdu, aliéné. C'est là un petit miracle. Devant cette conclusion au cynisme surprenant, on se souvient qu'une même chape de plomb pesait, plus ou moins fortement, sur d'autres films australiens récents tels que Mystery Road et Les Crimes de Snowtown. Une résignation moite, marquée par des éclairs de violence tétanisants et hantée par des personnages désespérés, caractérise tous ces films. The Rover apparait ainsi comme une nouvelle preuve de la vivacité d'un cinéma australien qui, paradoxalement, semble trouver une énergie salvatrice dans son pessimisme latent.


The Rover de David Michôd avec Guy Pearce, Robert Pattinson et Scoot McNairy (2014)

11 commentaires:

  1. Ça donne grave envie !

    RépondreSupprimer
  2. Un bon film, intéressant, que tu sais très bien décrire et mettre en valeur à travers ta critique !

    RépondreSupprimer
  3. Pattinson, même avec ses gros chicots, il reste sacrément alléchant...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi j'en voudrais même pas au ptit dèj'

      Supprimer
  4. Ca donne très très envie !

    RépondreSupprimer
  5. Ca file la dalle, indeed !

    Y'a-t-il parenté entre David Michôd et Tchô! le fameux bédé ?
    As-tu reçu deux dollars pour chaque occurrence du mot "Michôd" dans cet article ?
    Cet homme est-il payé au circonflexe ?
    Pourquoi pas circônflêxe ?
    Quid du mot "flex" ?
    Cet article, en tout cas, est flex.

    RépondreSupprimer
  6. ça donne faim
    Je suis très curieux de voir ce film, en particulier parce que ce que tu décris me fait penser a un autre film d'un autre australien: Mad Max (le premier du nom hein) qui reste mon film culte (je sais, je sais...)
    En tout cas, bon article :)

    RépondreSupprimer
  7. Article puissant, pour un film qui ne l'est pas moins ;)

    RépondreSupprimer
  8. Wahou quel film !!!! Je te remercie pour cet article parce que j'hésitais fraiment à aller voir ce film, j'étais pas emballé par les acteurs, surtout Pattinson qui a un jeu très limité. Mais tu m'as convaincu de donner une chance à The Rover, et je ne le regrette vraiment pas ! C'est véritablement excellent, grandiose, parfaitement interprété, et David Michod est un vrai génie! Je place sans réserve ce film dans mon top 3 de l'année et j'encourage tout le monde à aller le voir.

    RépondreSupprimer