13 août 2014

Sunhi

Le dernier film en date de l'hyperactif Hong Sang-Soo, Sunhi, renoue assez avec le modèle de Ha ha ha, l'un des récents souvenirs agréables parmi tous ceux laissés par l’œuvre du cinéaste. Presque uniquement constitué de longs plans séquences, ponctués de zooms avant et arrière réguliers, arbitraires et joyeux, le film nous laisse savourer de grandes conversations entre une étudiante en cinéma et trois hommes : Moon-soo, son ex, cinéaste débutant ; le professeur Choi, dont elle espère une lettre de recommandation qui lui permettrait de poursuivre ses études aux États-Unis ; et Jae-hak, autre prof de cinéma et réalisateur, dépressif, reclus chez lui. Buvant du Soju jusqu'à plus soif, et formant l'air de rien un losange amoureux qui s'ignore, les personnages sont, comme souvent chez Hong Sang-soo, pris dans des boucles répétitives sans issues. Moins complexe que Ha ha ha, le film est aussi plus clair, plus plaisant peut-être, ses personnages mieux définis et plus touchants, par exemple quand survient ce gimmick du baiser inattendu en pleine rue, qui fait directement écho à la plus belle scène de The Day he arrives.




Sunhi, interprétée par la ravissante Yu-mi Jeong, porte le nom du soleil et attire à elle les trois hommes évoqués ci-dessus. Qu'on essaie de l'en empêcher n'est d'aucune utilité, c'est ce que tente un jeune homme mal avisé au tout début du film, qui se fera hurler dessus sans ménagement par la jeune femme excédée, sorte de déesse courroucée. Sunhi n'hésite pas à héler ces messieurs depuis des postes surplombants (l'étage d'un bar, la terrasse d'un autre, restaurants qui portent eux aussi le nom de l'astre au centre de notre système) afin de leur faire lever la tête vers elle, de les illuminer de son rayonnement et de les capturer dans son orbite. Palabrant et séduisant trois hommes lors d'un bref séjour avant un départ définitif, Sunhi est en quelque sorte le pendant féminin de Gaspard (Melvil Poupaud) dans Conte d'été, naviguant à vue entre Margot (Amanda Langlet), Léna (Aurélia Nolin) et Solène (Gwenaëlle Simon). Chez Rohmer, Gaspard écrit une chanson de marin pour Léna avant de l'offrir à Solène, circulation de la musique parmi les amants qui est l'un des beaux motifs de Sunhi, quand la même chanson sentimentale traditionnelle revient à trois reprises, par hasard, aux oreilles des personnages.




Prêter les mots de l'un à l'autre, c'est aussi ce que font les trois amoureux de la belle Sunhi, qui répètent les formules toutes faites déjà entendues quand ils doivent qualifier la jeune femme ("gentille", "courageuse", etc.). De sorte que Gaspard se retrouve à la fois dans Sunhi et dans ses trois prétendants, notamment dans leur inconstance (le professeur de Sunhi réécrit du tout au tout sa lettre de recommandation dans l'espoir de séduire la jeune femme, qui séduit simultanément ses trois soupirants, tandis que Margot reprochait très justement à Gaspard de louvoyer entre ses demoiselles et de se retourner avec le vent) et dans leur spontanéité (Sunhi embrasse tout d'un coup son professeur, entre deux pas, comme Gaspard embrassait Margot entre deux mots). Mais tout cela n'est que conversations sans fin (marchantes chez Rohmer, assises chez Hong Sang-Soo, avec toujours ces tables dans la perpendiculaire du plan qui séparent les parleurs, l'émotion naissant quand la frontière est transgressée), et dilution du temps vacant d'une jeunesse incertaine dans des jeux amoureux sans conséquences. Sunhi ne sait pas plus qui elle est (finissant par s'attribuer les adjectifs vides que plaquent sur elle ses courtisans) que Gaspard (qui à force de redéfinir son caractère avec conviction finissait par diluer les contours de sa personnalité), et tous les deux finiront par disparaître vers leur art (le cinéma pour elle, la musique pour lui), abandonnant leurs satellites d'un seul automne, ou d'un seul été, non sans mélancolie.


Sunhi de Hong Sang-Soo avec Yu-mi Jeong, Kim Sang-joong, Lee Seon-gyoon et Jeong Jae-yeong (2014)

2 commentaires:

  1. Qu'as tu pensé de la dernière scène dans le parc? Je trouve ça à la fois triste et drôle, ces trois types un peu hébétés. Je suis sorti avec la banane mais c'est très triste en fait.

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    1. C'est une jolie fin, moins comique que pathétique en effet.

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