4 septembre 2014

Pas son genre

Qu'il est rare de voir une comédie romantique aussi intelligente et bien écrite, habitée par des personnages aussi vivants et bien dessinés, incarnés par deux acteurs si attachants et idéalement choisis ! Émilie Dequenne est parfaite dans le rôle de cette radieuse coiffeuse arrageoise qui tombe amoureuse d'un professeur de philosophie venu de Paris, incarné par un impeccable Loïc Corbery, acteur dont la tronche m'a immédiatement été sympathique. Deux univers se télescopent, deux personnages diamétralement différents se découvrent et apprennent à s'aimer dans un film qui pourrait aligner les clichés et reproduire un schéma que l'on a bien trop subi, mais qui parvient  miraculeusement à éviter tous ces pièges, grâce à ce regard d'une précieuse sensibilité porté sur les deux personnages et une intelligence d'écriture remarquable qui se joue des lourdeurs et des passages obligés. Avec son talent habituel, Lucas Belvaux nous raconte une histoire d'amour à laquelle nous n'avons aucun mal à croire, il fait preuve d'une délicatesse de chaque instant ; sa mise en scène est simple et discrète, au plus près de ses acteurs, de ses personnages, qu'il filme toujours avec beaucoup de sincérité.




Si l'on a pu reprocher au film des dialogues trop écrits, peu naturels, je leur ai au contraire trouvé une grande limpidité. Quelques échanges entre Emilie Dequenne et Loïc Corbery sont même vraiment délectables, notamment ceux qui exposent la différence de leurs goûts et de leurs sensibilités. Même quand il nous montre son professeur exercer son métier en salle de classe, Lucas Belvaux atteste d'une grande habileté. Certes, les phrases qu'énoncent alors Loïc Corbery sont assez stéréotypées, typiquement celles que l'on ferait dire à l'enseignant passionné et désireux de faire aimer la philosophie à ses élèves, mais il y a une scène où le cinéaste parvient à saisir, tout simplement, quelque chose de très juste : quand il fait dire à l'un des jeunes "Le temps, c'est de l'argent", lors d'un dialogue avec le professeur où celui-ci espérait une réponse plus... philosophique, dirons-nous. C'est tout à fait le genre de réflexions que l'on peut entendre chez les lycéens d'aujourd'hui, et Lucas Belvaux nous montre cela sans jugement, le plus simplement possible. Cette finesse se retrouve également dans le regard porté sur la province : à la différence de bien des cinéastes français actuels, Lucas Belvaux ne la critique nullement et ne l'oppose pas ridiculement à Paris. Le réalisateur natif de Namur nous propose un joli portrait de la ville d'Arras, en subtile contradiction avec les dialogues parfois durs mais souvent drôles qu'il place dans la bouche de certains personnages.




Alors certes, il y a peut-être deux ou trois longueurs (on sent que Lucas Belvaux aime tellement ses personnages et ses acteurs qu'il pourrait les filmer sans compter), et j'aurais aimé une fin différente (mais c'est bien la preuve que le film fonctionne !). Ces petites réserves ne pèsent toutefois pas bien lourd face à la si agréable impression laissée par ce film. J'ignore d'ailleurs s'il a su rencontrer son public, mais dans mon monde idéal, Pas son genre serait un beau succès. En suivant avec tant de plaisir cette histoire d'amour si touchante, on pense immanquablement à tous ces ersatz franchouillards de comédies romantiques hollywoodiennes, ces tristement fameux rom-coms, qui pullulent sur nos écrans et nous exaspèrent si fort. Donnez plutôt une chance au film de Lucas Belvaux, qui vaut infiniment mieux que ça.


Pas son genre de Lucas Belvaux avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery, Sandra Nkake et Anne Coesens (2014)

12 commentaires:

  1. J'approuve totalement ! Très joli film sur un matériau de départ casse-gueule. Belvaux fait une nouvelle fois preuve d'une finesse de regard et d'une élégance de mise en scène rares. Et les deux comédiens sont en effet très bons (la performance de Dequenne est plus spectaculaire, mais Loïc Corbery est très convaincant dans un rôle a priori plus raide).
    Pour faire suite à une discussion dans les commentaires d'un autre article, voici un autre "film du milieu" (en termes de moyens financiers et de potentiel public) en tous points respectable et intéressant.

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  2. Ca file envie d'acheter le DVD ou le bluray! J'aime beaucoup Belvaux, et les éditions DVD sont souvent de très bonne facture, avec des bonus géniaux.

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  3. +1 sur les bonus. Mais le mieux sur les DVD de Belvaux c'est le blister !

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  4. Franck Bitoune, maire d'Arras04 septembre, 2014 12:42

    En fait, c'est ce film-là qui aurait dû s'appeler "Bienvenue chez les Ch'tis" !

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  5. Heureuse surprise, ce film. D'autant plus que je l'ai vu juste après l'atroce « Une rencontre » (dans les deux cas, une histoire d'amour impossible, mais c'est l'unique point de comparaison possible). Dans ce film, Belvaux m'a fait penser à Maupassant : un regard réaliste sur les êtres, mais avec une vraie tendresse pour ses personnages, qui ne tombent pas dans la caricature. Pour un peu, il me réconcilierait avec le cinéma français actuel, mais mince, c'est un Belge!

    Catherine

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    1. Totalement d'accord, et content que le film vous ait plu.
      J'ai aussi vu peu de temps après l'innommable film de Lisa Azuelos, oui... Que dire ?... C'est le genre d'abomination qui a le don de me crisper et de rendre les mots impuissants. Je m'attendais à une horreur, j'ai eu encore pire. Mais, agréable surprise, ça dure à peine 1h10.
      Quand on y pense, la filmographie de Sophie Marceau, c'est quand même quelque chose...

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  6. Le plus étonnant, c'est qu'elle demeure citée année après année comme l'actrice favorite des Français.

    Catherine

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  7. Excellent film!!
    Belvaux sait vraiment TOUT faire. Il faudrait lui donner un gros budget qu'il nous fasse un film d'action, je suis persuadé que ce serait de la BoMbE!

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