4 janvier 2015

Lucy

Attention, devant ce film qui relate la progression exponentielle des capacités cérébrales d'une abrutie, le spectateur inattentif est susceptible d'être victime d'une chute de QI perceptible par l'oreille humaine. Quand on lance le dernier rejeton surnuméraire (il avait juré de s'arrêter à dix daubes ! tous les Besson seraient-ils des traitres ?) de la filmographie de Luc Besson, on s’attend à un truc profondément bête et laid. On est encore trop bienveillant. Lucy est nettement pire que tout ce que l’on pouvait imaginer. Le film s’ouvre sur un assez long dialogue, totalement inutile et insipide, entre Scarlett Johansson (qui à ce moment-là du film n’utilise pas encore 100% des capacités de son cerveau, avoisinant plutôt les 0% bien tassés) et un tocard baratinant pour la conduire chez le salaud de coréen qui fera d’elle une valise humaine pour sac de drogue ultra prisé puis, de loin en loin et malgré lui, un génie, une déesse, une étrange antimatière noirâtre et, in fine, une clé USB. Dans ce dialogue, le compagnon de Lucy lui (à ne pas confondre avec Lucy Liu, ni avec Gong Lui) affirme, tout fier de lui : « Je suis allé au musée hier et j’ai découvert, tiens-toi ienb, que la première femme s’appelait Lucy ». Cette phrase, totalement débile, et effrayante en soi dans la bouche d’un trentenaire faisandé, résume à elle seule la naissance du projet de ce film. Un contact Facebook de Besson a dû afficher un statut disant que « l’être humain n’utilise que 10% de ses capacités cérébrales » et, fort de cette révélation hallucinante, Luc a enchaîné les lectures (la page wikipédia sur Darwin et celle sur la théorie de l’évolution), frisant la rupture d’anévrisme à force de concentration, puis il s’est enfoncé de tout son poids dans son fauteuil de scénariste puis de réalisateur pour nous pondre cette horreur.




Besson n’a pas évolué d’un pouce depuis les débuts de sa carrière. Il nous ressort, vingt-quatre ans après, les mêmes plans, déjà ringards en 1990, qu'il avait usés jusqu’à la corde dans Léon. Ces ralentis sur l’héroïne marchant d’un pas sûr vers l’adversaire, dans un couloir, un flingue dans chaque main, centrée dans le cadre, filmée en plongée puis en contre-plongée et en travelling, un coup avant, un coup arrière, en montage alterné avec le vilain (Choi Min-Sik, le Gary Oldman coréen) qui écoute de la musique classique au casque, musique qui, pour le spectateur torturé, rythme la lente marche classieuse de l’âme vengeresse tirant sur tout ce qui bouge telle une machine parfaitement rodée pour finalement arriver face à l'ennemi suprême, lui planter des couteaux dans les mains et lui sortir de grandes phrases crétines avec aplomb. C’est le culte de la maîtrise martiale, et Besson maîtrise ces plans-là, alors il les répète à l’infini. Depuis Nikita il maîtrise aussi les personnages féminins qui dégomment leurs geôliers machos, et rejoue donc aussi cette vieille partition miteuse, en faisant des geôliers des bridés, sujet qu'il gère bien depuis Wasabi. Depuis ses productions Taxi, Taxi 2, Taxi 3 et ainsi de suite, il maîtrise aussi les grosses bagnoles qui vont vite en plein paname, qui zigzaguent à toute berzingue entre les poteaux et créent des tonnes d'accidents sans récolter une rayure, alors on n'y coupera pas, quitte à ce que la scène soit parfaitement gratuite dans le scénario.




Mais entre le nettoyeur et la nettoyeuse, entre Léon et Lucy, Besson a quand même vu quelques films. Au moins trois. Matrix d’abord, et on aura droit à Lucy détaillant les lignes de codes horizontales de la matrice dans une scène d'un autre temps. Sans oublier la grande fusillade finale opposant les gentils et les méchants tous vêtus de noir et tirant en rafales dans des colonnes de marbre pour que tout pétarade à foison. Besson a bien aimé Old Boy aussi, auquel il emprunte son acteur principal et qu’il cite frontalement dans une scène complètement incohérente parmi tant d’autres (scène de combat au corps-à-corps contre une armada de coréens dans un couloir, sauf que Lucy, alors qu’elle parvenait à endormir une foule en un claquement de doigts deux scènes plus tôt et qu’elle est censée devenir toujours plus puissante, élimine désormais ses opposants un par un, sans difficulté mais de façon plus laborieuse…). Besson n'est pas resté insensible au charme de Tree of Life, enfin, et il égrène son film d’action d’images documentaires piochées ça et là dans les documentaires de France 5 et d'Arte, montrant la belle nature et la méchante civilisation. Dans la lignée de Malick, il n'hésite pas non plus, le temps d’une scène mémorable, à repartir vers la naissance du monde, réunissant les dinosaures et la première Lucy, la vraie, la première femme au look de singe. Cette dernière touche le doigt de la nouvelle Lucy transhumaine dans une reprise complètement ridicule du plafond de Sixtine. Besson n’a vu que trois films depuis 24 ans mais il connaît ses classiques, foutez-lui la paix. Et son message est clair : Dieu n'est pas mort, il n'est simplement pas né (comme l'auteur de cette thèse, qui lui est trépané), ou plutôt pas encore exaucé, car Dieu c'est l'homme 2.0, ou en l'occurrence la femme 2.0, la femme surboostée par des drogues miraculeuses, la femme améliorée, faite machine (ici, donc, une clé USB de marque DaneElec, avec une capacité tout de même de 8GB).




Le pire c’est que l’homme, et là je parle de Besson, n’a certes pas évolué mais il a même plutôt nettement régressé. Ses premiers films ne valaient pas grand chose, sinon rien, mais il savait encore y développer, bon an mal an, des esquisses de personnages. Ultra simplistes, ok, mais quand même, et ils avaient même droit à des relations (l'orpheline et son Léon reconverti en mère poule, reconversion logique dans l'esprit de Besson vu le goût prononcé du personnage pour les plantes vertes et le nettoyage...). Aujourd’hui ce n’est même plus le cas. Aucun personnage dans ce film. Lucy n’est strictement rien ni personne. La seule scène qui tente de la définir est celle où elle se fait opérer (elle sait retirer une balle de son épaule, ne craint plus la douleur, apprend le chinois en une fraction de seconde, mais ne sait ni conduire, ni s’ouvrir le ventre…). Elle profite qu'on lui déroule la bidoche pour appeler sa mère et lui dire qu’elle l’aime et qu’elle se rappelle désormais des moindres détails de son existence pré-natale. Elle est toujours sensible, puisqu’elle chiale comme une madeleine en se rappelant le liquide amniotique de sa mère (elle choisira plus tard un flic lambda pour rester à ses côtés, un pseudo-élu, lui aussi inconsistant, qu'elle embrassera au prétexte qu'il lui faudrait "se rappeler" ce que c'est qu'un mec, elle qui se souvient de toute l'histoire de chaque cellule de l'univers...), mais, toute émotive soit-elle à ce stade de son évolution, elle vient d’assassiner sèchement un chauffeur de taxi innocent parce qu’il ne savait pas où se trouvait l’hôpital.




On peut laisser passer des tonnes d’incohérences quand un film de science-fiction (et presque tous en contiennent) a suffisamment d’arguments pour mériter ces efforts, mais Lucy est une avalanche d’inepties entassées dans un enveloppe dégueulasse qui ne fait pas l’effort minimum, à défaut de déployer une mise en scène ne fût-ce que correcte, de nous présenter un personnage ou simplement une histoire qui se tienne. Tout cela ne raconte en vérité strictement rien, au point qu’on a l’impression d’avoir regardé l’épisode pilote d’une série qui ne devrait surtout pas se poursuivre. A la dernière seconde du film, après que Johansson s’est dématérialisée pour se transformer en cette fameuse clé USB contenant tout le savoir qu’elle a accumulé en 24 heures (l'idée pourrait être intrigante, mais, après un tel désastre audiovisuel, elle provoque un rire nerveux), la voix-off de Johansson (actrice aussi misérable dirigée par Besson qu’intéressante dirigée par Glazer, dans Under the Skin) nous déballe : « Maintenant vous savez quoi faire ». On se demande alors, incrédule : « Mais quoi ? ». Ah si, ne plus jamais accorder une seconde de notre temps aux abjections de Luc Besson.


Lucy de Luc Besson avec Scarlett Johansson, Morgan Freeman et Choi Min-Sik (2014)

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