2 août 2015

Fievel au Far West

Cinq ans après avoir émigré aux États-Unis, la famille Souriskewitz vit de nouveau dans la misère et, plus précisément, dans un triste appartement new-yorkais en plein cœur d'un quartier malfamé. Les Souriskewitz constatent chaque jour le mensonge cruel qu'était la fameuse promesse du premier épisode, à savoir "En Amérique, il n'y a pas de chats", immortalisée par une interminable chanson qui rendit fou mon frère Poulpard. C'est à la suite d'une nouvelle attaque féline que la famille décide de déménager vers l'Ouest dans l'espoir de faire fortune et d'avoir de meilleures conditions de vie. Ils ignorent que les chats sont partout les mêmes salauds et ils devront encore composer avec des énergumènes tout aussi dangereux que ceux qu'ils croisèrent jadis à leur arrivée au Pays de la liberté. Voici donc le pitch du deuxième volet des aventures de Fievel qui fut un échec cinglant au box office à sa sortie mais qui compte encore quelques fans convaincus dont je fais évidemment partie.




Suite à des différends artistiques avec son tout-puissant producteur Steven Spielberg, Don Bluth n'est hélas plus de la partie, il cède sa place à Phil Nibbelink et Simon Wells. Il fallait bien s'y mettre à deux pour pallier l'absence du génie de l'animation, mais même en binôme, ils ne parviennent pas à renouer avec la qualité visuelle du premier volet. Le trait est plus grossier, plus brouillon, moins inspiré et, mises à part de rares idées (comme ce morphing lors de cette scène d'introduction onirique, qui transforme la balle fusante du revolver de Fievel, se rêvant déjà en cowboy, en un bouchon de liège mollement projeté d'un triste jouet), on est loin des fulgurances artistiques et du niveau d'exigence chers au réalisateur du Secret de Nimh. Ça n'est donc pas là que réside l'intérêt de cette suite qui trouve cependant son salut dans un versant comique renforcé via des dialogues soignés et, surtout, sa focalisation sur l'adorable personnage de Tiger, le gros chat roux débile et meilleur ami de Fievel.




Car si Fievel, le souriceau puceau, n'a pas bougé d'un pouce, Tiger, le chat maladroit au cœur tendre, a pris du volume, dans tous les sens du terme ! Cette suite est un véritable festival à la gloire de Tiger, doublé en VF par un pur génie, j'ai nommé Alain Dorval, plus connu pour être la voix française de Sylvester Stallone. Passées les premières minutes du film, croisement animé assez glauque entre le pire de Ken Loach et d'Emir Kusturica, où l'on découvre les conditions de vie déplorables des Souriskewitz (père toujours scotché à sa bouteille et à son vieux violon, mère condamnée à faire la manche, fille aînée tentée par la prostitution et l'argent facile, et un Fievel à deux pas de la délinquance), le film choisit donc la voie de la légèreté, et celle-ci prend la forme d'un chat obèse au pelage orange et rose. L'humour est bien plus présent avec, comme point culminant, cet enchaînement de sketchs irrésistibles où Tiger doit apprendre à devenir un chien auprès de Buffalo Blurp, le vieux clébard shérif usé et fatigué (très beau personnage léonien), désireux de passer le relais. Il faut entendre Tiger imiter l'aboiement du chien et se perdre dans une mélodie hilarante, il faut le voir se rouler par terre et chuter piteusement d'un rocher de la Monument Valley, il faut l'admirer s'essayer au fameux "regard oblique" sous les yeux du vieux Buffalo, désespéré. Gamin, je pouvais me repasser ces scènes en boucle !




Blague à part, je me souviens avoir vu ce film tout en dégustant quelques sachets d'un mets que j'adorais à l'époque mais sur lequel je ne suis plus jamais arrivé à mettre la main depuis. C'est même l'une des grandes malédictions de ma vie... Il s'agissait d'une spécialité américaine, à en juger les décorations du paquet, au goût légèrement caramélisé, peut-être réalisée à base de maïs soufflé, mais mes connaissances très minces en cuisine m'empêchent de l'affirmer avec certitude. D'aspect, cela ressemblait à des sortes de grains qui auraient éclatés, de couleur blanc cassé, un peu comme du polystyrène que l'on aurait fait gonfler et dorer au four. Je m'en goinfrais des poignées entières, j'en raffolais ! Cela croustillait sous la dent et donnait une curieuse impression de manger du vide, un vide sucré et moelleux... On pouvait en manger sans s'en lasser, sans jamais arriver à satiété. L'impatience de découvrir les suites des aventures de Fievel est comparable et à jamais liée à mon appétit infini pour cette étrange friandise oubliée...




Mais revenons à notre bon Fievel. Cette suite reprend d'abord le même schéma que l'original mais finit par s'en éloigner pour mieux nous faire marrer. Elle a aussi l'avantage d'avoir un dernier tiers qui ne traîne pas en longueur et va droit au but. Un voyage en train très mouvementé remplace l'inoubliable traversée de l'océan tempétueux du premier opus. Les vilains chats sont autant d'hommes d'affaires crapuleux et de politiciens véreux qui veulent s'accaparer l'Ouest sauvage. Le film apparaît comme une nouvelle métaphore de l'Histoire américaine mais, ne maîtrisant guère ce sujet, mon analyse s'arrêtera là (à vous de voir !). Je préfère laisser parler ma seule nostalgie et me souvenir de ces dernières images pleines d'optimisme où un petit ruisseau apparaît miraculeusement dans le désert grâce à la fuite du château d'eau, la végétation se mettant alors à pousser, à fleurir sur les rives et la vie de reprendre son cours tout doucement. La dernière image du film est particulièrement savoureuse : on y voit le grand vilain, Chat R. Ton (brillant jeu de mots), atterrir entre les deux énormes seins de la passagère d'un train, et retrouver instantanément le sourire. Avec cet ultime facétie, Nibbelink et Wells mettent tout le monde d'accord, enfants comme adultes, et nous rappellent toute la simplicité de la vie.


Fievel au Far West de Phil Nibbelink et Simon Wells avec la voix d'Alain Dorval (1991)

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