22 mai 2017

Bon rétablissement !

Enfermer dans une chambre d'hôpital un Gérard Lanvin amoindri mais plus irascible que jamais, remonté comme une pendule, chauffé à blanc, et donc prêt à sauter à la gorge du moindre visiteur : l'idée me plaît beaucoup ! Et c'est bien ce que nous propose essentiellement (en tout cas ce que je préfère retenir) ce nouveau film de Jean Becker, promis par son affreuse affiche comme une "comédie". On pouvait donc espérer quelque chose de léger, loin des derniers films minables du cinéaste moustachu qui se terminaient tous par la mort d'un personnage principal dont on apprenait à mi-parcours qu'il était atteint d'une maladie incurable (triste ficelle scénaristique bien pratique pour boucler des films n'allant nulle part et espérer émouvoir le quidam).




Rien de tel ici, même si l'on craint bien longtemps qu'une intrigue bidon ne se développe pour nous expliquer pourquoi et comment Lanvin a été retrouvé dans la Seine avant d'atterrir dans un lit d'hôpital, grièvement blessé. Les quelques venues de Fred Testot, qui campe un flic enquêtant sur l'affaire et trouve ici son meilleur rôle au cinéma (un constat d'une tristesse inouïe mais qu'il faut bien établir !), sont autant de moments où l'on redoute d'apprendre que Lanvin est impliqué dans une sombre histoire policière ou autre affaire de règlements de compte entre truands... Heureusement, rien de tout ça n'arrive, et la découverte du fin mot de l'histoire, lors des ultimes minutes de ce film qui a comme autre avantage d'être très court, nous vaut un twist digne des heures de gloire de Shyamalan et nous offre une belle scène de course-poursuite dans les rues de Paris : Gérard Lanvin, en robe de chambre, essayant tout simplement de rattraper son chat en fuite ! [/spoiler off]




Si Jean Becker est au cinéma ce que la marque Tribord est au monde de la mode vestimentaire, reconnaissons-lui tout de même une qualité non négligeable : il n'a pas son pareil pour mettre ses acteurs à cran et immortaliser leurs coups de sang sur pellicule. On se souvient des dérapages de Patrick Chesnais dans Bienvenue parmi nous et des accès de colère d'Albert Dupontel dans Deux jours à crever. Ici, on se régale de voir Lanvin enrager pour une porte malencontreusement laissée entrouverte, pester contre un plateau repas jugé trop fade, s'énerver sur une gamine qui lui subtilise son ordi portable, prendre pour cible le personnel de l'hôpital, etc. Très peu échappent au courroux de Lanvin, pour notre plus grand plaisir ! A un bon rythme, ses coups d'éclat s'enchaînent et nous permettent de tenir bon.




Hélas, vers la moitié du film, Jean Becker croit tout de même judicieux d'étoffer son si maigre scénario en levant le voile sur la triste vie du personnage principal. Veuf, sans enfant ni vraie famille, vivant seul, son unique espoir de bonheur réside en Anne-Sophie Lapix (qui n'est pas du tout faite pour le grand écran, que cela soit dit), une musicienne avec laquelle il vivait tout juste les prémices d'une romance salvatrice. Quelques flash-backs tout gris et d'une laideur folle nous en apprennent plus sur le rôle de Lanvin au sein de sa fratrie (Jean-Pierre Darroussin, étonnamment éteint, vient souvent le voir à l'hosto, il joue son petit frère alors qu'on aurait plutôt imaginé l'inverse étant donné l'état de délabrement de son dos). Tout ça permet peut-être à ce Bon rétablissement d'atteindre la durée minimale d'un long métrage mais on s'en serait bien passé. Personnellement, le spectacle d'un Lanvin à bout de nerfs me suffisait amplement !


Bon rétablissement ! de Jean Becker avec Gérard Lanvin, Jean-Pierre Darroussin, Anne-Sophie Lapix et Fred Testot (2014)

14 mai 2017

Get Out

Un carton inattendu au box office, des critiques dithyrambiques à la pelle, saluant combien le film tombe à pic et résonne dans l'actualité de l'Amérique de Donald Trump, je ne pouvais pas rester très longtemps sans avoir vu Get Out, le nouveau phénomène du cinéma d'horreur indé US. Il s'agit du premier long métrage de Jordan Peele, un comique américain apprécié qui s'essaie donc au genre en abordant de manière très frontale la question du racisme, à travers le récit glaçant de la première venue en belle famille wasp d'un jeune photographe noir. J'étais très curieux de découvrir comment les choses allaient tourner mais il faut avouer que j'étais également un peu méfiant à l'égard d'un tel buzz... Et ma méfiance a hélas été confortée.




Get Out a des qualités indéniables, mais toutes relatives : celles du rythme et de l'efficacité. Mais à l'exception de quelques bonnes idées qui se comptent sur les doigts de la main, Jordan Peele s'avère bien incapable de faire réellement naître la tension et sa mise en scène apparaît vite très limitée. On a un peu l'impression d'être devant une série tv un peu soignée, les acteurs n'aidant pas. C'est ici le talent de scénariste de Jordan Peele qui lui permet de tenir la longueur, car Get Out a cette capacité qu'il faut bien lui reconnaître : il parvient à nous captiver du début à la fin, à nous laisser toujours dans l'expectative, désireux de connaître la suite des événements. Tout s'enchaîne à un bon rythme, et le cinéaste tient la cadence, malgré des incohérences qui nous agacerons seulement plus tard. 




Le temps du film, nous sommes donc dedans, bien scotché devant, et il n'est pas question d'en sortir, malgré la lourdeur du message asséné que l'on doit supporter dès les premières minutes et en dépit d'un côté prévisible, inéluctable, fataliste, des événements racontés. Une fois que le générique final se met à défiler sous nos yeux, nous nous rendons compte de la vacuité et de la facilité de l'ensemble. Et quelques heures plus tard, il n'en reste plus rien. Get Out, c'est 100 minutes que l'on trouvera plus ou moins divertissantes, à passer de préférence entre amis ou dans une salle réceptive, avec l'envie de rire ensemble, mais 100 minutes qui ne laissent finalement aucune trace, si ce n'est un léger agacement... 




A posteriori, on s'interroge même sur l'intérêt de certaines directions choisies par l'auteur et je recommande ici à ceux qui n'ont pas encore vu le film de fermer les yeux sur les lignes suivantes. Quel intérêt, par exemple, d'effectuer le "transfert des esprits" par des opérations chirurgicales, alors que le scénario met d'abord en avant la manipulation psychologique via l'hypnose, si ce n'est de nous offrir quelques timides images gores ? Et, malgré l'efficacité démontrée de ce transfert, pourquoi le comportement des domestiques est alors si clairement ambigu, si ce n'est par commodité scénaristique, pour instiller le doute dans l'esprit du personnage principal et des spectateurs ? En réalité, Jordan Peele fait donc un peu ce qui l'arrange pour alimenter l'efficacité de sa vaine entreprise. 




En outre, le cinéaste ne réussit pas tout à fait son mélange des genres. Get Out a le séant entre plusieurs chaises et échoue pratiquement dans tous les domaines. L'aspect comique du film ne paraît pas poussé assez loin pour pouvoir pleinement fonctionner. Les personnages sont trop antipathiques, à commencer par l'ignoble beau-frère (le hideux Caleb Landry Jones) et sa sœur (la très télévisuelle Allison Williams), totalement invraisemblable. Même le héros, incarné par Daniel Kaluuya, paraît bien fade et on se fiche un peu, au fond, de ce que sa belle-famille lui réserve. Son ami douanier (Lil Rel Howery), seul rôle ouvertement comique, est presque drôle. J'ai bien dit presque. On rigole à peine quand, après le carnage, il dit très simplement à son pote "Je t'avais bien dit de ne pas y aller".




Get Out aurait aussi pu s'inscrire à point nommé dans cette vague de peur sectaire, très productive ces dernières années (qui a donné lieu à quelques réussites comme Kill List, Faults ou Sound of My Voice, et quelques autres tentatives plus ou moins ratées telles Red State, Martha Marcy May MarleneThe Sacrament ou, tout récemment, The Invitation), en nous dépeignant une grande famille wasp aux pratiques et aux idées bien étonnantes. Mais là encore, c'est très pauvre et un peut trop benêt. Nous ne ressentons aucune espèce de paranoïa au milieu de tout ce beau monde, cet aspect-là étant totalement survolé. Le film a aussi bien du mal à se faire une place au sein de ses aînés. On pense d'ailleurs beaucoup à The Stepford Wives, le thriller satirique de Bryan Forbes, adapté d'un livre d'Ira Levin, où ce sont les femmes qui étaient vidées de leur humanité ; mais cette référence en dit également assez long, car on était déjà bien loin du chef d'oeuvre en 1975... 

Get Out est donc simplement un joli coup. Un film intelligemment opportuniste et en réalité assez bête que l'on aura tôt fait d'oublier. Une déception.


Get Out de Jordan Peele avec Daniel Kaluuya, Allison Williams, Catherine Keener et Bradley Whitford (2017)

9 mai 2017

The Lost City of Z

Décidément James Gray ne déçoit pas. Son dernier film en date est, c'est bête à dire mais vrai, un plaisir. Assez simple d'aspect, sans grands effets de manche ou surprises flagrantes, d'un classicisme évident, caractéristique du cinéaste, dans le même temps d'une grande beauté et d'une grande force, The Lost City of Z fait le portrait de Percy Fawcett (impeccablement interprété par Charlie Hunnam), un colonel d'armée irlandais, jeune père de famille et héritier d'un nom en disgrâce auprès de la noblesse britannique, envoyé au début du 20ème siècle par la Société Géographique Royale d'Angleterre en Amérique du sud pour cartographier la frontière entre le Brésil et la Bolivie, pour finalement y découvrir avec passion, bientôt jusqu'à l'obsession, les vestiges d'une civilisation perdue.




On est si bien dans ce film qu'on aimerait qu'il dure encore et encore, malgré le côté éventuellement répétitif des allers et retours de Fawcett entre l'Europe et l'Amérique du sud (ce serait sans compter sur le talent de conteur de Gray, y compris pour confronter l'exploration de la jungle du Nouveau Monde aux ravages de la guerre des tranchées dans les terres rasées de la vieille Europe). Certains éléments auraient d'ailleurs mérité d'être plus creusés, au détriment d'autres comme la querelle avec James Murray (Angus MacFadyen), membre de la société de géographie, ventripotent et lâche, prêt à suivre la troupe de Fawcett pour la trahir sans vergogne.




Je pense par exemple à l'instant où Fawcett découvre pour la première fois les traces de la civilisation Maya, près de la cascade que ses hommes et lui atteignent lorsqu'ils touchent au but de leur quête initiale. Idem pour la rencontre avec le peuple Guarani, pour la relation avec Henry Costin (Robert Pattinson), ou celle qui unit Percy à son épouse, certes déjà passionnante dans la très belle scène où Nina (Sienna Miller) se plaint de ne pas pouvoir partir à l'aventure à son tour. On aurait même pu souhaiter que James Gray se dégage un rien de tout souci de vraisemblance historique pour embrasser la fiction en libérant la femme de Fawcett du joug de son temps pour l'envoyer sur le terrain comme elle le souhaitait ; même si le cinéaste lui fait cette promesse dans l'ultime et magnifique plan du film.




Il est permis en effet de reprocher un manque d'ampleur, de tension, ou de folie, à James Gray. Y compris dans la relation qu'il fait de l'exploration au cœur d'une nature hostile, dans la jungle habitée par les peuplades indiennes ou sur le fleuve que longent les cartographes. Mais le film fait déjà énormément, évidemment, penser, entre autres, à Aguirre, et Gray, évitant de tomber dans le pastiche ou la redite, semble s'appuyer sur notre mémoire de Joseph Conrad ou Werner Herzog, et n'a pas besoin d'en faire beaucoup plus pour qu'on sache de quoi il parle et qu'on le traverse malgré tout.




Le film est habité par ces récits et peut donc plus sûrement dresser le portrait de son personnage obsessionnel, fasciné par l'objet de ses recherches  jusqu'à une forme de folie, au point de délaisser puis d'embarquer sa famille, ce personnage souvent coupable que le cinéaste ne soumet jamais à un jugement simpliste, préférant nous questionner sur son comportement et nous communiquer quelque chose de sa passion, de sa curiosité à toute épreuve, de sa soif d'en savoir plus. Car la plus grande force de The Lost City of Z est certainement là, liée à ce que l'on avait d'abord pris pour un défaut : ces manques, ces envies d'en voir plus évoquées plus haut, ces fantasmes de scènes, de récits, d'aventures qu'il sait susciter.


The Lost City of Z de James Gray avec Charlie Hunnam, Robert Pattinson et Sienna Miller (2017)

5 mai 2017

Paterson

A propos de son dernier film en date, Jim Jarmusch a dit : « Paterson raconte une histoire tranquille, sans conflit dramatique à proprement parler […] Le film se veut un antidote à la noirceur et à la lourdeur des films dramatiques et du cinéma d’action. C’est un film que le spectateur devrait laisser flotter sous ses yeux, comme des images qu’on voit par la fenêtre d’un bus qui glisse, comme une gondole, à travers les rues d’une petite ville oubliée. » Ce propos contient et réunit assez bien les petits défauts et les grandes qualités de ce film, qui fait le portrait de son personnage éponyme, un chauffeur de bus poète, parcourant, observant, écoutant et écrivant chaque jour la ville dont il porte lui-même le nom.




S'il fallait commencer par quelque reproche, je dirais qu'à trop vouloir prendre le contrepied des grosses productions à lourds sabots, téléguidées et prévisibles, Jarmusch crée lui-même des attentes qui semblent n'être suscitées que pour être déjouées, méthode qui peut paraître quelque peu factice. On redoute par exemple que le bulldog anglais de la fiancée (Golshifteh Farahani) de Paterson (Adam Driver) ne soit enlevé devant le bar où il le laisse sans surveillance pour aller boire un coup avec des amis chaque soir en rentrant de sa tournée de bus, surtout après la scène où des types à casquettes qui passent en bagnole l'interrogent sur cette race de chien qui, apparemment, coûterait très cher. Or tout ceci n'a guère d'intérêt puisqu'il ne se passe rien avec ce chien (c'est plutôt Paterson qui aura des raisons d'en vouloir à sa compagne quant au maudit clébard).




Deuxième reproche au film, qui est plutôt un regret. Concernant le personnage de la fiancée de Paterson, pas inintéressant mais qu'on aurait voulu plus développé, moins caricatural. Elle donne parfois l'impression de n'être là que pour servir la soupe au personnage principal, ce grand dadais calme, souvent silencieux, observateur taciturne du quotidien, en incarnant à elle seule toute une batterie de clichés (la fille gaga de son chien hideux, qui cuisine du quinoa pour accompagner son boulgour arrosé d'une rasade de kéfir, redécore tout son appartement à longueur de temps, achète une guitare à 400 dollars pour devenir une star, etc.), qu'elle ne parvient qu'à peine, et assez miraculeusement, à dépasser.




Mais heureusement, ces défauts n'entachent pas le film, Jarmusch ayant parfaitement réussi à créer les conditions pour que son spectateur puisse vivre ces deux heures comme il l'espérait lui-même dans la phrase citée en début d'article. Son film a bel et bien quelque chose d'un poème, au-delà de ce que cette comparaison peut avoir de banale et de convenue pour évoquer tout film plus ou moins lent ou contemplatif. On trouve dans Paterson cet aspect libre et mouvant du poème. C'est un film tranquille, simple, mais qui n'oublie pas de dissoner, avec ses surgissements de bizarrerie, et qui allie la très forte présence du réel, pris pour ce qu'il est, à une sorte d'au-delà sans mystique, bien de ce monde. Le personnage principal (fort bien servi par Adam Driver), intériorise un sourire quand il écoute les conversations de ses passagers, et on sent qu'il aimerait continuer à écouter encore longtemps la petite fille qui lui lit son poème sur la pluie, qu'il aimerait même la connaître, la revoir, pouvoir l'écouter davantage. On le voit soucieux de la présence, de la place et de la puissance d'évocation des mots, que Jarmusch inscrit intelligemment à l'image, sur le pare-brise du bus sinuant dans les rues de la ville et reflétant le ciel, les façades, les passants. Paterson est attentif aux choses, obsédé par les liens entre les paroles entendues et les événements les plus minimes autour de lui (comme les jumeaux/jumelles qui surgissent sous ses yeux). Jim Jarmusch parvient ainsi à filmer, en quelque sorte, la poésie, à faire passer quelque chose de l'écriture, de la ville et de comment on peut écrire la ville. Ce n'est pas rien.


Paterson de Jim Jarmusch avec Adam Driver et Golshifteh Farahani (2016)