23 décembre 2017

Regain

Regain fait partie des quelques films réalisés par Pagnol à partir d’écrits de Giono (avec son aide), qui ont peut-être contribué, plus ou moins malgré eux, à donner de ce dernier l'image d'un brave écrivain régional. Il y a pire. Mais la Provence chez Giono n'est pas un simple décor pittoresque pour historiettes au charme tout local, puisque c'est l'idée que l'on se fait de la littérature dite de terroir, elle est bien plus, c'est le terreau mythologique d'une écriture, d'une poésie qui vient du ventre, de la terre, inquiète, violente, bonne, douloureuse et vibrante. Pagnol ayant obtenu de Fernandel qu'il joue dans le film le rôle de Gédémus, secondaire dans le roman, la star prit inévitablement une certaine place, au point de pratiquement devenir le personnage principal, de se voir inventer des scènes toutes neuves, qui poussent le film à durer plus de deux heures, et de remplir l'affiche avec sa belle tête. Ce n'est donc qu'à moitié le Regain de Giono que nous voyons là (puisque c'est celui de Pagnol). Il ne reste que le minimum de Panturle et Arsule, de l'herbe qui repousse après la fenaison du foin au cœur d'Aubignane et alentour, de l'amour qui naît sous l'influence du dieu Pan, du vent de sexualité qui souffle sur les deux amoureux et sur la colline (comme plus tôt sur Solitude de la pitié et plus tard sur le Déjeuner sur l'herbe de Renoir).




Mais c'est un beau film, quand même, car Fernandel est drôle, et parce qu'il reste la bonté, l'amitié, l'amour, et l'accent de quelques uns des gens du coin qui entourent Orane Demazis et Gabriel Gabrio. Une séquence notamment est à pleurer. C'est celle où Panturle descend voir d'anciens amis, le bien nommé L'amoureux et sa femme Alphonsine, pour leur demander quelques sacs de blé et un âne, histoire de resemer la terre d'Aubignane. A tout ce que demande Panturle, L'amoureux, qui l'écoute tranquillement, répond de son bel accent par l'affirmative. Et quand Alphonsine à la grosse voix coupe un énorme pain pour en donner à ses petits, et que Panturle demande s'il ne pourrait pas en emporter pour faire plaisir à Arsule, L'amoureux le lui donne tout entier. Émue de voir Panturle si heureux et de l'entendre raconter comment Arsule le sera en voyant ce pain, Alphonsine se met à pleurer. Puis Panturle parle de rembourser ce pain et L'amoureux de se vexer comme si son ami venait de l'humilier, et de lui offrir un second pain pour le pardonner. Les personnages sont de beaux personnages, sans exception. Même Gédémus, misogyne à souhait (il laisse Arsule, qu'il vient de sauver de ses violeurs, tirer sa carriole de rémouleur et la traite de "bourrique", de "feignante" et de "bestiasse" à chaque phrase), voué à être le caillou dans la chaussure des amoureux, se montre finalement sous un jour aimable quand il revient chez Panturle, à la fin du film. Mais la scène du pain (cette « chose terriblement grande » disait Giono), dans sa simplicité, est d'une grande beauté, à pleurer de joie, et rien que pour elle, et même si le film n'est pas parfait et tourne parfois le texte de Giono en sympathique petit conte aux accents du sud, alors qu'il est bien plus que cela, il fait bon revoir le Regain de Pagnol à l'heure où beaucoup de nos cinéastes se consacrent à dresser les uns contre les autres des galeries de personnages plus idiots, médiocres et mauvais les uns que les autres.


Regain de Marcel Pagnol avec Gabriel Gabrio, Orane Demazis et Fernandel (1937)

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