1 février 2018

Last Flag Flying

Le scénario du nouveau film de Richard Linklater s'inspire du roman Last Flag Flying de Darryl Poniscan, qui est la suite d'une œuvre précédente de l'écrivain, The Last Detail, adaptée au cinéma en 1974 par Hal Ashby. Je voue une admiration particulière pour le film de Hal Ashby, qui est l'une des perles du Nouvel Hollywood et un film qui, à chaque vision, parvient toujours à m'envoûter délicatement, de par sa beauté discrète et sa douce poésie. J'étais donc très curieux de découvrir le film de Richard Linklater, qui se présente plutôt comme sa "suite spirituelle". Le cinéaste texan ne reprend pas les personnages de 1974 mais en propose une sorte de déclinaison en nous narrant les retrouvailles de trois anciens marines ayant servi dans la même unité au Vietnam, de nouveau amenés à faire un bout de route ensemble. Nous sommes en 2003 et l'un d'eux, interprété par Steve Carell, vient de perdre son fils en Irak. Il demande alors à ses deux anciens amis, Bryan Cranson et Laurence Fishburne, de l'accompagner à ses funérailles et c'est ainsi que commence un road movie tout à fait anodin, à des années lumières de tout ce qui faisait le charme si précieux et singulier du chef d’œuvre de Hal Ashby.




Pour ne pas être trop rude et injuste à l'égard de Richard Linklater, il faudrait limiter au maximum la comparaison. Mais comme il est difficile de ne pas penser au tact et à la délicatesse de Hal Ashby quand on subit, dès les premières secondes, les lourdes manières d'un Richard Linklater qui n'est en rien son héritier mais seulement un bien mauvais élève ! C'est à se demander si Linklater a bien vu et revu le film de Hal Ashby puisqu'il n'en a retenu aucune leçon alors qu'il vise clairement à s'inscrire dans ses pas. Dès la première image, la musique vient nous dicter nos émotions et appuyer le ton tristounet lourdement annoncé. Tandis que Hal Ashby ponctuait son œuvre d'airs militaires ironiques puis d'une marche funèbre sublime signée Johnny Mandel, Richard Linklater nous impose une mélasse sonore qui semble venir boucher les trous quand il filme des trains entrer en gare et qu'il suit les allés et venues des trois vétérans. Alors qu'un doux voile mélancolique drapait, au fil des minutes, l’œuvre de Hal Ashby, rien ne se passe chez Linklater, dont nous subissons mollement le scénario insipide. Arrêtons donc là la comparaison.




Pour fonctionner, Last Flag Flying aurait dû reposer sur trois personnages suffisamment forts et attachants, campés par des acteurs inspirés et agréables. Il n'en est rien. Nous n'avions pourtant que des a priori positifs sur Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne. Force est de reconnaître que le premier, dont on croyait le potentiel immense, et ce quel que soit le registre, nous fait ici douter. Il joue la tristesse en se tenant prostré, de la première à la dernière seconde. Son jeu paraît beaucoup trop maîtrisé et calculé pour laisser poindre la moindre émotion, on le sent dans chacune de ses expressions, de ses attitudes, et dans toutes les modulations de sa voix. Lorsqu'il ne peut s'empêcher de rire aux idioties de Bryan Cranston et qu'il parle d'une petite voix cassée, très aiguë, brisée par le chagrin, on ne peut s'empêcher de revoir l'inoubliable Brick Tamland d'Anchorman ! C'est assez gênant... Laurence Fishburne prête quant à lui ses traits à un vétéran devenu pasteur, ravi d'avoir trouvé Dieu, et l'on se demande bien comment un tel homme peut supporter l'alcoolo pénible joué par Bryan Cranston, de loin le plus problématique du trio.




Ces trois personnages auprès desquels nous passons deux longues heures apparaissent finalement très pauvres, mal écrits. Richard Linklater a l'air de se désintéresser de l'homme endeuillé joué par Steve Carell. Il laisse bien plus de place aux diatribes et à l'insolence du difficilement supportable Bryan Cranston, dont on ne réussit jamais à apprécier le franc parler et le dynamisme, lui qui est pourtant le seul vrai moteur du trio. On en vient à se poser des questions sur l'acteur Bryan Cranston, que l'on appréciait en papa un brin débile dans Malcolm et qui était sans doute impeccable dans Breaking Bad (une série que nous n'avons pas suivie), mais qui semble avoir à un mal fou à se rendre appréciable au cinéma (il n'y a qu'à jeter un coup d’œil à sa filmographie pour choper le cafard). Aucune alchimie particulière ne se dégage des trois acteurs, même lors de ces scènes où Richard Linklater nous fait perdre notre temps à les voir s'époumoner sur des anecdotes trop fabriquées de leur passé commun dans l'armée.




L'action du film se déroule en 2003. Les personnages assistent, par la télévision, à la capture de Saddam Hussein et font donc leurs petits commentaires. On a ainsi droit à l'inévitable discours de Richard Linklater sur la guerre en Irak, principalement véhiculé à travers le personnage désenchanté et amère de Bryan Cranston. Ces anciens militaires vétérans du Vietnam avaient tout compris dès 2003 et avaient déjà un regard critique plein de lucidité sur l'occupation américaine en Irak. Richard Linklater croit placer des bons mots, il manque surtout de finesse et de crédibilité. Son propos univoque sur la guerre et ce qu'en fait le gouvernement américain, le traitement réservé aux soldats et compagnie, tout cela se voit venir à des kilomètres. Comme nous sommes à l'orée du XXIème siècle, on assiste également à la découverte d'internet. Aucune drôlerie n'émane du décalage entre les personnages vieillissants et ces nouvelles technologies qu'ils essaient tant bien que mal d’apprivoiser. Nous avons droit à une scène surréaliste durant laquelle nous voyons nos trois vieux découvrir les joies du téléphone portable et s'en acheter un chacun en boutique. C'est merveilleux.




Lors d'un long dialogue entre Cranston et Fishburne dans la cabine du camion, le premier asticote le second au sujet d'un morceau de rap diffusé à la radio qu'il juge ridicule et dont l'auteur, Eminem, est pourtant un blanc. Passionné de musique populaire en tout genre, Richard Linklater place alors quelques répliques qu'il doit croire géniales et il s'imagine sans doute qu'elles vont faire mouche (peut-être contenteront-elles en effet son petit fan club déjà acquis à sa cause), mais ça paraît à côté de la plaque et sans intérêt. Ce passage tout à fait anodin parmi tant d'autres contribue simplement à rendre trop long ce film dénué de rythme. On se dit que 30 minutes auraient facilement pu être coupées au montage, voire 124 avec un peu plus de zèle. Nous ne rions jamais devant Last Flag Flying. Nous ne sommes guère émus non plus. Nous attendons que ça passe, sans être particulièrement agacés, certes, mais comme hypnotisés par un nuage de platitude. En fin de compte, ça n'est pas dans la lignée du grand film de Hal Ashby que s'inscrit Richard Linklater mais plutôt dans celle de ces trop nombreux drames intimistes ratés qui ont fleuri dans le cinéma indépendant américain suite à la guerre en Irak. Un véritable trou noir dans ma vie de cinéphile et dans ma vie tout court.


Last Flag Flying de Richard Linklater avec Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne (2018)

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